#Recherche
23.04.2020

L’après-crise vue par nos enseignants-chercheurs

S’il est encore un peu tôt pour s’avancer sur ce à quoi ressemblera le monde d’après dans son ensemble – y aura-t-il, d’ailleurs, un monde d’après ? – la séquence extraordinaire que nous vivons permet cependant à nos enseignants-chercheurs de relever des signaux faibles ou de réelles tendances qui posent question. Ils nous invitent donc à regarder, par le biais de « mini-éditos », ce qui pourrait bien changer dans leurs domaines d’études respectifs.


Green light pour les Green Bonds ?, par Yves Rannou

Le marché des obligations vertes (ou green bonds) est emblématique du basculement qui s’est opéré dans le monde de la finance, vis-à-vis des enjeux environnementaux. Ainsi, l’industrieuse Allemagne a confirmé il y a quelques jours l’émission d’une obligation verte de 6 milliards au second semestre 2020, malgré la crise sanitaire liée au coronavirus. Selon Natixis, une obligation verte est une obligation servant à financer des investissements comportant un bénéfice environnemental ou réduit la vulnérabilité à des changements environnementaux.

Si l’ampleur de la crise actuelle ne permet pas de conclure quant aux futures orientations des marchés financiers, le tournant vers une finance plus verte semble enclenché. En 2020, le FMI chiffre le stock mondial d’obligations vertes à 590 milliards, aidé par des récentes émissions records comme celle d’Apple de 2 milliards. Cependant, quatre défauts limitent une pleine expansion du marché des green bonds : l’absence de standardisation (11 termes les désignent), le risque d’obligations vert pâle, le faible nombre d’émissions ou d’émetteurs et le manque de liquidité. Si ces défauts parvenaient à être corrigés, ce marché pourrait potentiellement assurer le financement de la transition énergétique dans son intégralité.


Il est temps, pour les dirigeants, d’aiguiser leur acuité stratégique, par Richard Soparnot

L’acuité stratégique des dirigeants renvoie à leur aptitude à scanner leur environnement externe, à déceler des signaux, à les interpréter et à les traduire en décisions stratégiques, notamment d’anticipation. Cette acuité est primordiale parce qu’elle peut déterminer la survie et le développement d’une entreprise.

Cette acuité stratégique n’est pourtant en rien naturelle. Bien des dirigeants – ceux que je nomme les dirigeants de l’immédiat – sont plongés dans le court terme, parce que l’immersion dans l’action immédiate rassure, permet d’exister au quotidien, comble un vide, parce qu’ils n’ont pas su s’organiser pour déléguer… Il délaisse, voire ignore, leur rôle de vigie, d’interprète, de traducteur des signaux de leur environnement et d’anticipation. D’autres types de dirigeants – les dirigeants stratèges – les plus aguerris, les plus aptes à endosser ce rôle de vigie ne sont pas non plus infaillibles ; il peuvent ne pas voir certains signaux, les négliger, les interpréter de manière inappropriée, les traduire en décisions inadaptées…

La crise actuelle, les défaillances d’entreprise qui se profilent, les difficultés que vont rencontrer celles qui passeront la vague et les succès que certaines vont connaître… démontreront aux « dirigeants de l’immédiat » que leur rôle n’est pas l’action de court terme mais l’action portée sur le temps long et l’horizon lointain, une action basée une compréhension aiguisée, clairvoyante et lucide de l’environnement afin, autant que faire se peut, d’anticiper l’effet que pourraient avoir certains signaux en provenance de l’environnement externe et de scénariser les futurs possibles pour leur entreprise. Les dirigeants stratèges, quant à eux, aiguiseront leur acuité stratégique car ils auront pris conscience qu’un signal, au départ strictement sanitaire, circonscrit géographiquement, et finalement perçu comme étant de moindre importance, pouvait en quelques semaines, selon une succession d’évènements inattendus et imprévisibles, conduire à une crise économique majeure, d’envergure mondiale et impactant nombre de secteurs d’activités et d’entreprises.

Bien sûr, nombreux sont les dirigeants qui auraient préféré s’éviter un apprentissage accéléré de la stratégie.


Du plomb dans les LBO ?, par Aymen Turki

Durant les dernières années, et à l’instar de la vague des LBO (Leveraged Buy-Out) entre 2002 et 2007, les fonds de capital-investissement (Private Equity) ont considérablement mené le marché des fusions et acquisitions (McKinsey, 2018, Ulrich et al., 2018). Lorsqu’ils n’ont pas suffisamment de fonds propres, les acquéreurs font appel à ces fonds d’investissement, qui se procurent à leur tour de la dette auprès des banques (Limited Partners), afin de procéder à la technique de rachat à effet de levier ou LBO (Kaplan et Stromberg, 2009, Axelson et al., 2009).

Néanmoins, et depuis le déclenchement de la crise sanitaire du Covid-19, les opérations de fusions et acquisitions via la technique de LBO pourraient s’avérer compliquées à mener, comme c’était le cas pour la crise financière de 2007 (Acharya et al., 2009). D’une part, ces fonds de capital investissement, détenteurs de participations dans de multiples sociétés, tentent de se concentrer sur la gestion de leurs portefeuilles qui impliquent des sociétés en difficulté ayant besoin de financements supplémentaires (Bernstein et al., 2019). D’autre part, les levées de dettes vont devenir extrêmement compliquées étant donné que le marché de la dette s’est tendu avec l’augmentation du spread (Guildolin et Tam, 2013; Muir, 2013), et que les banques prêteurs ne veulent plus subir les créances en défaut des entreprises, surtout qu’elles sont déjà sollicitées par l’Etat pour alimenter la trésorerie des sociétés en difficulté (Buca et Vermeulen, 2017).

L’un des premiers signes des implications de la crise sanitaire sur les LBO est l’annulation de certaines opérations à l’instar de la cession de Document Store à LFPI dont la signature a été initialement prévue le 13 mars 2020. Se dirige-t-on ainsi vers un fort ralentissement voire disparition des fusions et acquisitions financées via la technique de LBO ?


Enfin une réelle considération de la participation citoyenne ?, par Cédrine Zumbo-Lebrument

L’actualité en témoigne chaque jour : les semaines de confinement n’entament en rien l’ingéniosité des Français pour participer à l’effort collectif contre la pandémie. Cette ingéniosité solidaire des citoyens se traduit au premier chef par les multiples initiatives et actions visant à aider et soutenir, symboliquement ou matériellement, les personnels (infirmières, aides-soignantes, médecins…) en 1re ligne pour lutter contre le développement du COVID 19 sur notre territoire. Elle démontre l’habileté participative des citoyens lorsqu’il s’agit de trouver des solutions permettant de faire face à des situations où les efforts déployés par les pouvoirs publics, État et collectivités territoriales, peuvent s’avérer insuffisants, du moins limités.

Cette participation citoyenne crée ses propres conditions d’existence et son propre dynamisme sans jamais s’inscrire dans projets préconçus par une tierce autorité malgré toute la diversité et la valeur de l’habilité des citoyens français quand il s’agit de comprendre et d’améliorer des situations concrètes de leur quotidien. Espérons que cet élan participatif citoyen qui ne se tarit pas conduira enfin à reconsidérer, voire, tout bonnement, à considérer, la participation citoyenne pour ce qu’elle est : un élément cardinal et vital pour faire vivre la chose publique.


La frontière public-privé dans la santé va-t-elle voler en éclat ?, par Catherine Dos Santos et Anne Albert-Cromarias

Face à la crise du Covid-19, la coopération public-privé dans la santé s’est intensifiée, faisant ainsi voler en éclat les traditionnelles frontières de ces secteurs.
L’engagement du secteur privé est manifeste : 500 cliniques et 300 établissements de soins se sont mobilisés, déprogrammant 100000 interventions chirurgicales et libérant 4 000 lits pour des patients atteints du Covid-19.
La solidarité territoriale joue également à plein, certains patients des régions les plus touchées ayant ainsi été transférés en TGV, avion et même hélicoptère vers des zones plus préservées. Par ailleurs, des établissements de psychiatrie privés ont été mis à disposition afin d’accompagner et soutenir les soignants durement éprouvés par cette crise sanitaire. Et, comme à l’hôpital public, les établissements privés ont déclenché le « plan blanc » avec l’installation de tentes à l’extérieur des établissements et un circuit isolé de transfert des personnes contaminées.
Cependant, le président de la Fédération des cliniques et hôpitaux privés a demandé à l’État de les solliciter davantage considérant que la coopération public-privé était encore trop inégale selon les régions et a appelé à un renforcement des échanges entre Agences Régionales de Santé, public et privé.

On le voit bien, la finalité est aujourd’hui de faire ensemble pour améliorer les filières de prises en charge. Mais aussi de collaborer en mutualisant moyens matériels et ressources médicales, transformant ainsi les frontières des établissements et des équipes médicales.
La crise sanitaire révèle ainsi que le rôle de l’État ne doit plus se limiter à la baisse des dépenses de santé. Les hôpitaux et leur environnement pourraient ainsi évoluer afin de favoriser de nouveaux modèles d’organisation fondés sur la coopération inter-établissements.
L’enjeu consiste à sortir d’une vision encore trop hospitalo-centrée pour mieux intégrer, également, la médecine de ville, largement mobilisée dans la crise actuelle. Sans oublier que c’est peut-être en campagne que cette médecine « de ville » est justement la plus cruciale…

Consulter la tribune complète sur The Conversation


La revanche des territoires ruraux, par Anne Albert-Cromarias et Alexandre Asselineau (BSB)

La crise du Covid-19 a non seulement annoncé mais aussi prouvé que, désormais, le raisonnement selon lequel « hors métropole, point de salut » n’a plus lieu d’être.
Premièrement le télétravail a pris un essor totalement inenvisageable il y a seulement encore quelques semaines. Il restait en effet relativement anecdotique dans des entreprises encore frileuses à l’idée de devoir lâcher la pointeuse, et pas nécessairement revendiqué non plus par des salariés attachés au lien social procuré par la présence sur le lieu de travail. Aujourd’hui, 5,1 millions de personnes seraient concernées en France.
Deuxièmement elle questionne nos modes de vie modernes, privilégiant un entassement des populations sur des surfaces toujours plus petites, et qui sont peut-être même, pour partie, l’une des raisons de la pandémie actuelle. Mais plus sûrement, et de longue date, d’une large panoplie de problèmes sociaux.

Cette crise pourrait donc constituer le point de départ d’une politique d’aménagement du territoire et de développement des campagnes radicalement nouvelle et différente. Outre un travail accru de décentralisation, deux conditions préalables semblent néanmoins indispensables.
D’une part, accélérer le déploiement du haut débit dans les territoires ruraux, pour mettre fin aux inégalités territoriales dans ce domaine aussi. À condition, là aussi, de réduire drastiquement les inégalités territoriales en termes de transports qui restent très fortes, comme en atteste par exemple la carte isochrone de la SNCF mesurant les temps de trajet des principales villes françaises au départ de Paris.
La crise sanitaire majeure que nous traversons est – aussi – le signe qu’il nous faut nous transformer. Et cette transformation, qui sera institutionnelle, économique, sociale, environnementale, ne peut passer que par une mutation radicale de notre rapport aux métropoles et aux territoires.

> Consulter la tribune complète sur The Conversation

Suivez l’actualité de l’ESC Clermont Business School en vous abonnant à notre newsletter !

Chargement
Mentions légales