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09.11.2022

Violence au travail : entretien avec Marina BOURGAIN (ESC Clermont BS) et Sabrina PERUGIEN (IAE Savoie Mont Blanc)

Marina BOURGAIN, Enseignante-Chercheure à l’ESC Clermont BS et sa co-autrice avec Sabrina PERUGIEN (IAE Savoie Mont Blanc) remportent le Prix du « Meilleur Cas de Gestion des Ressources Humaines » pour un cas sur le thème de la violence au travail.

Ce prix, décerné par l’AGRH et Référence RH, a pour but d’encourager la production et le partage de supports originaux qui adressent une thématique organisationnelle d’actualité, et engagent activement les étudiants. L’obtention de ce prix souligne l’importance de la pédagogique active, méthode d’enseignement adoptée par le corps professoral de l’ESC Clermont Business School pour favoriser l’apprentissage et stimuler la réflexion.

Entretien avec Marina BOURGAIN et Sabrina PERUGIEN :

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et partager avec nous vos sujets de recherches ?

S. PERUGIEN : J’ai rejoint l’IAE Savoie Mont Blanc en tant que maître de conférences en management en 2020 mais avant cette prise de poste, j’étais Enseignante-Chercheure à l’ESC Clermont Business School au sein du département HOM aux côtés notamment de Marina BOURGAIN, Domitille BONNETON et Brigitte NIVET avec qui j’ai eu plaisir à travailler et à co-constuire des cours de GRH et de management. Nous avions toutes à cœur d’innover en termes de pédagogie et nos séances de préparation de cours sont des moments que je chéris encore aujourd’hui, le « faire autrement » et « faire mieux » étant au cœur de nos préoccupations. Ma pratique d’enseignement en est pétrie. En ce qui concerne le volet recherche, je consacre mes travaux à l’étude de pratiques, de politiques et de dispositifs organisationnels favorisant la diversité et l’inclusion en milieux professionnel et académique. Depuis peu, j’examine aussi le courage face à l’injustice et la violence dans l’emploi auprès de publics discriminés et occupant des positions sociales infériorisées. Mes interventions publiques abordent les enjeux contemporains du management tels que la coopération intergénérationnelle, la fabrique de la discrimination ou encore le fait religieux en entreprise et je suis fréquemment sollicitée pour sensibiliser et former les praticiens au management de la diversité.

M. BOURGAIN : Je suis Enseignante-Chercheure depuis 2009 à l’ESC-CLR BS (après un doctorat en Sciences Sociales et Politiques de l’Institut Universitaire Européen de Florence, un Master de Droit à Stanford et un diplôme GE à l’EM-Strasbourg), mes sujets de recherche sont : les mobilités et parcours professionnels, sous l’angle du genre et du contexte organisationnel. Je suis convaincue que la violence au travail impacte les parcours professionnels : démission, désengagement, mal-être dans l’emploi. Lorsque je travaillais pour la Chambre de Commerce Internationale à Genève [qui représente les intérêts des entreprises auprès de l’ONU], j’ai vu combien il était difficile, au sein de l’OIT (Organisation Internationale du Travail, agence spécialisée de l’ONU), d’obtenir un consensus et la ratification par les Etats de conventions sur les principes et droits fondamentaux au travail. La France a ratifié tardivement (en 1989) la Convention de l’OIT sur le licenciement (en partie l’objet de ma thèse de doctorat) ; il est regrettable que la France n’ait pas encore ratifié la Convention C-190 de l’OIT sur la violence et le harcèlement au travail. Avec ce cas CATWALK, nous avons à cœur de former cette nouvelle génération d’acteurs du changement pour faire face à la violence au travail – individuellement et collectivement. Dans la lignée du travail de longue haleine de Brigitte NIVET pour accompagner les individus et les entreprises dans les transformations nécessaires pour produire « autrement », CATWALK permet de travailler sur ce que signifie « faire société » à un moment où la crise de sens et la crise économique affectent fortement nos liens sociaux.

Qu’est-ce que la violence au travail ?

M. BOURGAIN : La violence en milieu de travail est définie par la Convention C-190 de l’OIT comme : « toute action, tout incident ou tout comportement qui s’écarte d’une attitude raisonnable, par lesquels une personne est attaquée, menacée, lésée ou blessée dans le cadre ou du fait direct de son travail ». En France, l’employeur doit veiller à la santé et à la sécurité de ses travailleurs en mettant en place des actions de prévention, d’information et de formation. La jurisprudence distingue les violences physiques des violences verbales. Sont considérés comme des violences physiques, les gestes ou agissements destinés à impressionner fortement, intimider, causer un choc émotionnel ou un trouble psychologique. Plus généralement, les violences physiques portent atteinte à l’intégrité physique de l’individu. Elles se traduisent alors par une ou des blessures aux conséquences multiples : préjudice esthétique, souffrance, handicap irréversible, voire perte de la vie. Les violences verbales (menaces, injures, outrages) sont des propos excessifs, blessants, grossiers ou des provocations à la haine, à la violence ou aux discriminations. Les propos tenus sur le ton de l’humour mais qui blessent ou stigmatisent peuvent aussi être vécus comme des violences verbales.

Travailler avec des élèves sur un sujet sensible, quel est l’intérêt pédagogique ?

S. PERUGIEN : Lorsqu’il s’agit de la violence au travail, nos étudiants sont plutôt démunis quant à la conduite idoine. C’est là que réside tout l’intérêt pédagogique de notre travail. A cet égard, n’oublions pas que deux millions de personnes sont victimes de violence au travail chaque année en France (20,1 % des salariées et 15,5 % des salariés, selon la dernière Enquête Virage de l’Ined). Les travaux montrent que les témoins directs et indirects sont durablement affectés par cette violence au travail – certains individus peuvent même chercher à se venger de l’organisation afin de rétablir l’ordre moral. Nous pointons les dangers à court terme et le climat délétère à long terme en termes de stress sévère, d’intention de quitter l’entreprise, d’absentéisme, de baisse de la productivité ou de la qualité du travail, non seulement pour les victimes mais aussi pour l’ensemble des témoins directs et indirects. Ainsi, nous défendons l’hypothèse que la violence affecte tôt au tard l’ensemble de l’organisation. Or, la façon dont les tiers réagissent face à ce type de situation peut affecter les attitudes et les comportements ultérieurs des auteurs et des victimes de harcèlement et dissuader de futurs actes répréhensibles, c’est pourquoi nous avons développé ce cas CATWALK comme un Jeu de rôle où les 5 acteurs sont des tiers.

Quel a été votre angle d’attaque pour parler de ce sujet et comment avez-vous pu le faire vivre (ex : atelier, jeu de rôles, entreprises…) ?

M. BOURGAIN : Le cas CATWALK est un Jeu de rôle en vue de résoudre la crise que traverse l’entreprise suite à un acte de violence en son sein. Concrètement, chaque étudiant a un rôle et chaque rôle fait face à un dilemme. Pour sortir du conflit, les étudiants peuvent mobiliser leurs soft skills et leurs savoirs de management, en droit du travail et en théorie des organisations, tout comme en sciences sociales (Freud, Girard, Hobbes, Rousseau). Certains éléments sont introduits avant la négociation : définition d’un acte de violence, les sanctions prévues par le Code du Travail, la fonction du dialogue social. La négociation dure 1h30. Nous débriefons ensuite les différents protocoles et les dynamiques à l’œuvre qui éclairent les soft-skills des participants : capacité à être dans l’écoute et l’empathie, à résoudre des problèmes en contexte d’asymétrie informationnelle, à gérer le stress sous la pression.

Les étudiants ont-ils été surpris ?

S. PERUGIEN : Sur le plan de la forme, les étudiants étaient agréablement surpris que nous leur proposions de se mettre dans la peau de représentants de salariés/ syndicats ou de dirigeants. Offrir la possibilité de vivre un dialogue social, même en simulation, de mettre en avant leur talent en négociation ou de faire montre de persuasion n’est pas fréquent et l’accueil a été très positif. La gravité du sujet sur lequel ils sont appelés à négocier galvanise certains. La séance suivante, ils en parlaient encore et demandaient si un nouveau jeu de rôle était prévu ! Il est important qu’en fin de module les étudiants se sentent moins démunis face à la violence au travail.

En 3 mots ou 1 phrase – quel souvenir garderez-vous de cette expérience ?

S. PERUGIEN : Gratifiante, exigeante et engagée. Cette étude de cas représente deux ans de travail (!) mais si c’était à refaire, nous le referions. Il en va de notre responsabilité car si les enseignants-chercheurs en GRH ne préparent pas la future génération de managers à de tels enjeux de société, qui le fera ?

M. BOURGAIN : Monter un cas pédagogique, c’est beaucoup de travail et d’inquiétudes pour « juste » 2h30 de cours mais c’est aussi une grande fierté lorsque les étudiants sont impliqués et qu’ils en retirent quelque chose.

Pour vous ce prix, c’est…

S. PERUGIEN : La mise à l’honneur du lien indéfectible qui existe entre recherche et pédagogie car sans nos travaux scientifiques, cette étude de cas n’aurait très certainement pas vu le jour.

M. BOURGAIN : Cette reconnaissance par les pairs est une grande joie pour nous deux. C’est aussi un encouragement pour nos institutions à investir dans une pédagogie de qualité.

 

Référence :
Pérugien, S. & Bourgain, M. (2022), CATWALK :  Gestion de Crise face à la Violence au Travail, cas CCMP n° H0692, primé « Meilleur cas RH de l’année 2022  par l’AGRH et Référence RH », thématique Enjeux de société et GRH, 33ème congrès de l’AGRH, Brest, 19 -21 octobre 2022

Le saviez-vous ?

Experts dans leur domaine, les professeurs permanents de l’Ecole sont engagés dans des activités de recherche. En tant qu’enseignants-chercheurs, leurs travaux sont publiés dans des revues scientifiques de haut niveau, francophones ou anglophones, mais aussi des ouvrages.

Ils peuvent également coordonner l’élaboration d’ouvrages en collaboration avec d’autres chercheurs, intervenir dans des conférences en tant qu’invités ou encore présenter leurs travaux dans des colloques nationaux et internationaux.

La qualité des recherches menées par les enseignants-chercheurs de l’ESC Clermont Business School se mesure également en termes d’impact. Ces travaux scientifiques doivent pouvoir éclairer des sujets d’actualités et s’adresser au plus grand nombre. C’est une des raisons pour lesquelles l’Ecole collabore avec « The Conversation », un média grand public, 100% gratuit et sous licence Creative Commons.

Les recherches de l’ESC Clermont Business School traitent de l’innovation en management et se déclinent selon les trois axes du CleRMa (Clermont Recherche Management), laboratoire de recherche commun en Sciences de Gestion à l’ESC Clermont BS et l’UCA :

  • Axe AMPHI (Alter Management, Potentiel Humain, Innovation)
  • Axe STeRA (Stratégie, Territoire et Réseaux d’Acteurs)
  • Axe FIRE (Finance, Information et Responsabilité d’Entreprise)

Aujourd’hui, le corps professoral permanent de l’école se compose d’une cinquantaine d’enseignants-chercheurs, mobilisés pour faire rayonner l’Ecole et asseoir son expertise et sa légitimité, en France et à l’étranger.

La recherche, un vrai axe stratégique de l’ESC Clermont BS !

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